vendredi 5 novembre 2010

"Je ne sais toujours pas préparer un cours"

Deux mois après la rentrée, Libération est retourné voir quelques jeunes profs afin de faire avec eux un premier bilan de leurs premières semaines d'enseignement en collège ou en lycée : édifiant !
Aurore, prof d'anglais dans un collège tout près de Paris
«C'est pas compliqué, je ne sais toujours pas préparer un cours. Ma tutrice, très gentille par ailleurs, est venue me voir faire en classe. Elle est ressortie catastrophée : "Tu ne sais pas faire un cours, ni organiser des objectifs." Normal, personne ne m'a appris. Je me suis retrouvée parachutée du jour au lendemain dans une classe, sans aucune formation. Je ne me souvenais même pas à quoi ça ressemblait des élèves de 5e... Je suis épuisée, vraiment. Jamais je n'avais ressenti cet état de fatigue. Pourtant, je suis une battante, pas du genre à me laisser déborder. Je suis passée par une classe prépa, j'ai l'habitude d'avoir une masse de travail importante. Là, je n'y arrive plus, je suis dépassée. L'autre jour, je suis partie en laissant ma cafetière allumée, ça ne me serait jamais arrivé en temps normal
Marjorie, prof de physique-chimie dans un lycée de Clichy
«C'est du non-stop. La préparation des cours me mange ma vie privée, je ne fais plus rien à côté, j'ai arrêté de voir mes amis, j'y passe tout mon temps. Depuis le 1er septembre, je n'ai pris que deux jours de repos. Je me lève trois fois par semaine à 5 h.30 pour être à l'heure au lycée. Je vis encore chez mes parents dans le 93. Et impossible pour le moment de trouver un appart plus près : j'ai appris mon affectation deux jours avant la rentrée et je n'ai toujours pas eu de fiche de paie, allez savoir pourquoi. En cours, je fais ce que je peux. Question autorité, ça va encore. J'ai choisi la fermeté, ça passe pour le moment. Jusqu'à quand ? Je n'ai aucun recul sur ce que je fais. Surtout, je n'ai pas le temps de revoir une situation à froid, de réfléchir sur ce qui va, ce qui ne va pas.»
Alphonsine, prof d'italien en Ile-de-France
«Un tuteur ? Officiellement, oui, j'en ai un... Mais je ne l'ai pour ainsi dire jamais vu. Pourtant, ce n'est pas faute de lui envoyer des mails ou de laisser des messages sur son répondeur. Je ne suis pas la seule dans cette situation, beaucoup de jeunes stagiaires ont le même problème. D'abord, parce que les profs qui jouent ce rôle ont plus ou moins été forcés par l'inspecteur d'académie. Ensuite, on ne leur a pas du tout expliqué en quoi consistait leur tâche... Super ! Même quand le contact est bon, le rapport est faussé : c'est eux qui nous notent à la fin de l'année et déterminent donc notre titularisation. Délicat d'aller lui avouer qu'on ne sait pas du tout comment construire un cours ou évaluer les élèves !
Savoir comment noter par exemple, c'est pas évident. Franchement, je fais au pif... Pareil : je me retrouve avec une classe de terminale, qui passe donc le bac à la fin de l'année. Il me faut choisir les textes qu'ils présenteront à l'examen, je n'ai aucun repère, aucun support. Et ce n'est pas la semaine de formation qui va m'apporter les réponses. Le formateur nous a sorti des extraits du Monde de l'Education datant de 2004 pour nous parler pendant trois heures de l'origine des notes et de leur légitimité contestée auprès des élèves. C'est intéressant en soi, mais bien trop loin de nos préoccupations du moment
."
Lucile, enseignante de Sciences de la vie et de la terre dans un collège du Val-de-Marne
«Où j'en suis ? Fatiguée mais rassurée ! Je m'attendais à ce que ce soit l'horreur totale, j'appréhendais d'en arriver à la conclusion que je n'étais pas faite pour ça, et finalement je trouve que je ne m'en sors pas si mal. Ça n'est pas toujours parfait, mais je me rends compte qu'en sortant de mon cours, les élèves ont appris. Ma tutrice m'a d'ailleurs dit qu'elle me considérait comme une collègue. Reste le côté discipline, je tâtonne encore. Par exemple, j'ai une classe de 5e particulièrement agitée. J'ai essayé le haussement de ton, sans succès. Un jour où c'était tellement le bordel, je me suis sentie complètement dépassée que je n'ai rien trouvé de mieux qu'un bête contrôle surprise. Et puis, petit à petit, j'ai fini par comprendre ce qui marchait : leur dire qu'on avait parlé de leur comportement avec les autres collègues, ne pas tergiverser indéfiniment mais mettre direct un mot dans leur carnet... D'une manière générale, j'ai surtout appris qu'au moindre problème il fallait en discuter avec l'équipe, ne pas s'isoler de peur de passer pour une incompétente

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