samedi 8 janvier 2011

Portrait inspiré du comte Chatel

Cette année encore, Patrick Rambaud nous réjouit avec le quatrième tome de sa Chronique du règne de Nicolas Ier. Dès le premier chapitre, Luc Chatel, dont l'auteur rappelle la visite bidouillée dans un supermarché de Villeneuve-Le-Roi en septembre 2009 pour présenter ses Essentiels de la rentrée, a droit, sans amphigourie mais avec talent, à un hommage appuyé, digne du magnifique courtisan qu'il est. Extrait :
"Il est bon de dire un mot du comte Chatel puisqu'il se trouve naturellement sous la main. Il était boudin de figure, soit sans attrait remarquable, le cheveu rebelle même aplati, une allure bonhomme et une voix sans intonations. C'était un courtisan d'aparence simple, né outre-océan dans le Maryland mais originaire de Bayard-sur-Marne, une terre maintes fois désolée par les invasions barbares qui conférait à ses habitants une modestie dans la mise et les mots. Son père était amiral et sa mère professeur de danse, desquels il tenait à la fois l'art de naviguer malgré la houle et un certain sens de l'entrechat. Lycéen des beaux quartiers, chez les jésuites parisiens, il y acquit la façon de ne point répondre droitement aux questions qu'on lui posait, mais par le biais ou les silences, ce qui lui valut de porter la parole du Parti impérial. Comme il avait travaillé un temps dans l'industrie des cosmétiques, il excellait dans le replâtrage et le coloriage de la réalitéqu'il sa'gissait de rendre jeune et pimpante, qu'elle fût angoissante ou morose.
Le comte entra en politique où il passa sans férir, grâce aux qualités ci-dessus mentionnées, de l'emploi à l'économie, à la consommation, au tourisme, de l'industrie à l'école sans avoir le loisir de rouiller. Il fut partout laborieux, curieux, discret, et personne n'était si naïvement plaisant, personne plus continuellement divertissant, sans jamais vouloir l'être, lorsqu'il répondait aux gazetiers au nom de Notre Ploutocratique Leader. Bref, cet homme de si bonne compagnie réussit bientôt dans une Cour où il ne pouvait faire envie à quiconque.
Selon ses dires, le comte aurait volontiers été vigneron s'il n'avait point servi la cause de Notre dorable Autocrate, mais, comme nous allons le voir, lui restait plutôt du terroir la subtilité d'un bûcheron [...]. Lorsqu'il remplaça un chevalier d'Arcos sorti de l'Education, sous les sifflets des professeurs dont il projetait de réduire énormément le nombre, en demandant aux épargnés un surcroît de travail, le comte Chatel se voulut ouvert des oreilles, prompt aux rencontres cajoleuses, prêt aux arrangements avec l'air patelin du directeur des relations humaines qu'il fut."
Patrick Rambaud, Quatrième chronique du règne de Nicolas Ier, Paris, Grasset, 2011, 174 p.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

un résumé limpide sur la cour et son personnel expert en courbettes. Quant au service public, désormais en lambeaux, il court à son effacement malgré nos effarements.