lundi 31 janvier 2011

Le blues des jeunes profs de l'Ain

Depuis la Toussaint, 84 jeunes professeurs des écoles de l’Ain sont seuls devant leur classe. Tout juste lauréats du concours, ces stagiaires ont suivi seulement quelques semaines de formation avant d’enseigner en solo
Les professeurs des écoles stagiaires viennent de suivre deux semaines de formation, en janvier, à Bourg. Mais avant cela, ils ont déjà été lâchés sur le terrain. Depuis le retour de la Toussaint, ces "apprentis" sont seuls pour faire la classe. Ils inaugurent la réforme de la formation des professeurs des écoles. Jusque-là, les lauréats du concours suivaient une année de formation avant de prendre une classe : deux tiers de cours à l’IUFM et un tiers de stage pratique. Une formule qui a été abandonnée et remplacée par un système très discuté. « Pour nous, cette réforme est mauvaise parce qu’elle marque une rupture entre la préparation du concours et l’entrée dans la vie professionnelle, explique le responsable de l’IUFM de Bourg, Georges Combier. Mais l’inspecteur a fait au mieux avec le cadre qui lui était imposé ».
En septembre, chaque inspection académique, désormais responsable de la formation, a choisi sa formule. Dans l’Ain, l’inspecteur a laissé un peu plus de temps aux stagiaires que dans d’autres départements. « On leur a fait une formation de six semaines d’entrée de jeu. Ils étaient dans des écoles d’application avec des maîtres formateurs », précise Philippe Sauret, inspecteur d’académie. Mais les syndicats dénoncent ce qu’ils appellent une « pseudo-formation » : « En un mois et demi, on leur a demandé de faire l’équivalent de ce qui se faisait en un an, explique Morgan Vincent, co-secrétaire départemental du Snu-IPP, syndicat majoritaire chez les instituteurs. En plus, ils étaient jusqu’à quatre stagiaires pour un formateur. Difficile de passer du temps devant la classe et d’être bien débriefé. » À cela s’ajoutent des prises de poste parfois compliquées. Les stagiaires devaient être sur des remplacements assez longs et surtout éviter les niveaux difficiles comme le CP et le CM2. Une promesse non tenue, puisque certains changent de classe presque tous les jours. Du côté des stagiaires, pas de démission ou de catastrophisme, mais des doutes. Au Snu-IPP, on explique recevoir de plus en plus de mails d’inquiétude. Le problème récurrent est l’absence de recul. « Ces six semaines ne nous ont pas appris à faire la classe, confie un stagiaire. On a la tête dans le guidon. On travaille dans l’urgence pour assurer les cours. On aimerait prendre plus de recul, analyser ce qu’on a fait pour voir nos erreurs, réfléchir sur les méthodes et avoir un regard extérieur. » D’autres sont dans une certaine ambiguïté, parfois déstabilisés mais très heureux d’être sur le terrain, comme cette jeune femme qui enchaîne les remplacements courts : « Je me sentais prête d’autant plus que j’avais déjà fait des stages. Ca faisait longtemps que je voulais faire ce métier. J’avais envie de commencer vite. Ca sera peut-être plus difficile pour ceux qui l’an prochain auront un master et seront propulsés encore plus rapidement que nous qui avons souvent préparé le concours à l’IUFM ». De plus, si Philippe Sauret met en avant « un accompagnement attentif et bienveillant », certains ont un sentiment de solitude. Ils font régulièrement appel à leurs collègues dans les écoles, mais voient peu leurs maîtres formateurs. « On envoie quelques mails mais on ne peut pas appeler au secours en permanence. En plus, ce n’est pas une démarche simple », concède l’un d’eux. Pour cela, l’inspecteur explique mettre en place des pôles de formation sur six lieux dans le département. Ces pôles devraient prendre forme rapidement avec des écoles d’application dans différentes circonscriptions. Mais au-delà des conditions de travail, cette réforme pose la question de la qualité de l’enseignement. Si Philippe Sauret réfute cela, syndicats et parents expriment de forts doutes.

Sophie Albanesi

Guillaume est un des enseignants stagiaires à avoir pris une classe juste après les vacances de la Toussaint. « Comme tous mes collègues, j’ai été mis sur un poste de remplaçant. Et le plus long remplacement que j’ai réalisé, c’était deux semaines. Sinon, j’ai beaucoup tourné dans des écoles pour un ou deux jours. Je prends les choses de manière positive. Je me dis que tous ces remplacements me permettent de voir plein de choses. C’est formateur, même si ça n’est pas très confortable de ne pas savoir ce qu’on fait sous deux jours. Pour ce qui est de notre formation, je suis assez pragmatique et je fais tout pour que ça se passe bien. On est tous d’accord pour dire que notre formation n’est pas la meilleure, mais on fait du mieux qu’on peut avec les moyens du bord. En plus, dans les écoles, il y a une certaine entraide entre collègues. Les plus expérimentés nous donnent des tuyaux. D’ailleurs, je me tourne beaucoup plus vers mes collègues que vers mon maître formateur, avec qui je n’ai eu que quelques contacts par courriel. Concrètement, dans les classes, ça se passe plutôt bien. Mais il nous manque un peu de recul notamment sur ce qu’on peut attendre des enfants selon leur âge. C’est un métier que nous avons choisi par vocation, donc personne n’est vraiment démotivé. Même si le contexte n’est pas idéal, on s’adapte. »

Dans le secondaire, les stagiaires sont seuls en classe depuis septembre déjà
Le sort réservé cette année aux enseignants stagiaires dans les collèges et les lycées de l’Ain n’a pas été meilleur que pour les professeurs des écoles. Dans le secondaire, c’est en septembre que les enseignants stagiaires se sont retrouvés seuls devant le tableau. Pour eux, quatre semaines de formation sont organisées de mi-février à fin mars, à cheval sur les vacances.
« Beaucoup sont en grande difficulté. Ils ne savent pas comment construire un cours, une évaluation, comment gérer les élèves… explique Nicolas Jambon, secrétaire départemental du Snes-FSU. En plus, sur 47 stagiaires dans le secondaire, 16 sont dans des situations compliquées. Ils sont par exemple dans des établissements en ZEP ou partagés entre deux établissements ». Auparavant, ces jeunes profs passaient un tiers de l’année devant les élèves et le reste en formation. Aujourd’hui sur cette cinquantaine de stagiaires plusieurs ressentent un certain mal-être. « Une grande partie n’y arrive pas et ne sait pas pourquoi. Il y a un véritable sentiment de culpabilité. Ils ont du mal à gérer la difficulté. Ils font parfois des contrôles trop longs, d’autres trop faciles par rapport au niveau… Du coup, ça peut se passer très mal avec les élèves qui ressentent ce genre de choses », ajoute Nicolas Jambon. Le responsable syndical dénonce même les quatre semaines de formation proposée. « C’est anecdotique. En plus, ça ne pourra qu’aggraver les choses puisque pendant ce temps ce sont deux étudiants en master 2 qui vont prendre chacune des classes ». Enfin, pour obtenir la titularisation, « l’évaluation » a aussi changé. La validation passera par deux rapports rédigés par le tuteur du stagiaire et le directeur de l’établissement.
( source : Le Progrès, 31 janvier 2011)

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